Entretien sur le futur de la valorisation des matelas avec Laure Bisson
Le recyclage des matelas a connu de grandes avancées ces dix dernières années, sous l’impulsion d’Ecomaison et de ses partenaires et adhérents. Nouvelles possibilités de tri, futures technologies de démantèlement… Laure Bisson, Responsable Pôle Innovation Matériaux et Substances, nous livre sa vision des avancées à venir dans le domaine.
En 2022, 35 000 tonnes de matelas usagés ont pu être recyclées et valorisées, via les sept unités de démantèlement ouvertes sur le territoire. Est-ce un volume qui promet encore d’augmenter ?
Oui, ce flux de matelas devrait augmenter pour plusieurs raisons :
- D’une part, la collecte en déchèterie s’améliore avec de meilleures consignes de tri pour l’usager et la mise en place de sac à matelas qui assurent la préservation des produits récupérés, condition nécessaire à un bon recyclage ultérieur.
- D’autre part, côté distributeurs, l’obligation de reprise qui se met en place depuis 2022 est aussi un levier très important, puisqu’elle vient renforcer un circuit qui pourrait être 100 % matelas, en particulier dans les cas de reprise à la livraison. Au niveau logistique, c’est important de pouvoir concentrer les volumes récupérés au travers de flux de collecte spécifiques et dédiés, garantie de bonnes pratiques de stockage et de transport. Nous œuvrons pour que ces conditions favorables, se développent un peu partout et cette récente obligation augmente naturellement le volume des matelas en bon état exploitables pour le recyclage.
- Ainsi, nous misons beaucoup sur l’optimisation de la collecte des matelas pour en accroître le volume et la performance de recyclage et de valorisation.
Cela signifie que d’autres unités de démantèlement vont ouvrir ces prochaines années ?
Le nombre d’unités de démantèlement installées sur le territoire dépend de deux facteurs : les volumes collectés pour être recyclés et valorisés et un maillage territorial cohérent afin de minimiser les distances de transport des déchets. Les unités existantes ont encore des capacités de traitement que nous allons d’abord exploiter dans une logique d’optimisation. Une fois cette première étape réalisée, nous complèterons, le cas échéant, ces unités existantes.
Elles s’équipent pour recycler davantage de matelas ?
Pour augmenter leur rendement, mais aussi pour améliorer la qualité des matières récupérées ainsi que les conditions de travail des opérateurs. Par exemple, de nouveaux équipements permettent de mécaniser le déplacement des matelas, d’automatiser la détection entre matelas ressorts et matelas mousse, la découpe des enveloppes et des mousses, ainsi que l’extraction de l’âme des matelas (son cœur).
Bientôt, avec de nouvelles machines, comme les refendeuses, dont certains centres de démantèlement comptent s’équiper, la découpe de ces mousses suivant le plan horizontal sera possible pour accéder à la mousse du cœur. Cela aidera aussi à supprimer les résidus de textiles ou de colle, qui peuvent perturber leur recyclage.
Ces innovations, qui seront déployées sur des sites déjà existants, vont également jouer sur le volume destiné au recyclage.
Des solutions de tri des mousses, par exemple via un système de détection optique approprié permettront également de distinguer les différentes qualités en vue d’un type de recyclage en particulier. Enfin, l’équipe Innovation d’Ecomaison travaille à la valorisation des matelas souillés, humides… qui étaient considérés comme non recyclables. Il s’avère que les essais récemment réalisés sur ce sujet, que les cœurs de ces matelas sont en fait assez préservés, ce qui nous permettrait finalement de récupérer le métal et les mousses.
Depuis 2022, la collecte des matelas s’est renforcée grâce à la loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire (AGEC) qui impose aux distributeurs d’organiser la reprise des produits fin de vie. Est-ce que cette règlementation a d’autres impacts pour les années à venir ?
Cette loi impose nombre de nouvelles dispositions et prescriptions. Je pense par exemple aux obligations d’information du consommateur sur les qualités et caractéristiques environnementales des produits, qui demandent aux fabricants d’indiquer si un produit est recyclable ou non, s’il contient des substances préoccupantes, ou des matières recyclées…
De même, dans quelques années, la loi Climat et Résilience imposera un affichage environnemental aux metteurs sur le marché de produits d’ameublement, un score comme on peut le voir pour d’autres produits comme les appareils électriques et électroniques par exemple. Ces nouvelles pratiques vont fortement inciter les fabricants à limiter l’usage d’additifs potentiellement dangereux, et à se tourner vers l’écoconception, en particulier via l’amélioration de la recyclabilité et l’incorporation de matières recyclées.
Source : L’Institut technologique FCBA
Alors, à quoi peut ressembler un matelas éco-conçu en France ?
Un matelas éco-conçu est un matelas plus épuré, c’est à dire composé de moins de différentes matières, en particulier pour la partie enveloppe (ce que l’on appelle le coutil). L’utilisation de succession de couches de fibres mélangées, synthétiques et naturelles, mais aussi de mousses dans ces coutils, le plus souvent collés ou cousus entre elles, est actuellement un frein au recyclage complet du matelas. Le matelas éco-conçus, c’est également un matelas qui intègre plus de matière recyclées et/ou renouvelables afin de minimiser sa consommation de matières premières fossiles.
Et si l’assemblage des matières entre elles reste indispensable pour des questions de durabilité ou de solidité, alors le matelas éco-conçu doit intégrer au plus tôt la meilleure manière de désassembler proprement ce qui a été assemblé. Ainsi Ecomaiosn travaille, avec la start-up belge Resortecs et deux groupes importants du secteur de la literie, Adova et Cofel, au remplacement des fils de couture des plateaux par de nouveaux fils qui faciliteraient le recyclage en permettant de séparer plus facilement les matières.
Et les mousses ?
Les mousses des matelas du futur, nous les souhaitons sans substances problématiques. Nous souhaitons aussi limiter les assemblages de différents types de mousses et limiter l’usage des colles entre ces couches. En effet, ces conceptions viennent perturber le recyclage.
Le matelas éco-conçu est composé en majorité de mousses issues d’anciens matelas. Dans l’objectif d’optimiser la boucle fermée, nous travaillons d’ores et déjà à un recyclage chimique des mousses, qui sont dépolymérisées pour revenir à un état liquide exploitable par les fabricants de nouvelles mousses pour les matelas sans bousculer leur mode de production. La nouvelle frontière, c’est d’augmenter toujours plus le pourcentage de mousses réincorporées. Certains industriels annoncent déjà qu’ils pourraient atteindre des pourcentages élevés, 50 voire 100 %. Il faut éprouver toutes ces nouvelles techniques, cela prend du temps mais ce sont des chantiers d’innovation que nous soutenons.
Les avancées sont encourageantes. À quoi mesurez-vous l’engouement autour du recyclage des matelas pour ces prochaines années ?
Oui, les progrès sont très intéressants et la filière très dynamique. Nous le voyons tout simplement aux propositions reçues lors de nos appels à projets : le nombre de projets proposés comme leur diversité et leur maturité sont encourageants.
Récemment, nous avons eu aussi bien des projets très exploratoires que des projets très mûrs sur la partie fibres textiles, comme pour les mousses (polyuréthane ou latex). Nous le voyons également s’agissant de la diversité des acteurs. Quand on a à la fois de petits labos, des start-up, des moyennes et grosses entreprises, c’est bien la preuve que quelque chose se passe, et c’est motivant !